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La voie romaine de Saint-Brieuc à Alet




Une voie pré-romaine venant de l'embouchure du Gouessant

Au bourg de Saint-Alban, la voie romaine venant de Carhaix correspond à l'actuelle Rue du Chemin Ferré. Elle se fond dans une voie plus ancienne aujourd'hui appelée Rue de Tournemine. Cette dernière rue se prolonge vers l'ouest par le Chemin Romain qui se dirige vers l'embouchure du Gouessant et la chapelle Saint-Maurice.

Plan du bourg de Saint-Alban

Ainsi, la voie romaine venant de Carhaix semble se fondre à Saint-Alban dans une voie venant de la Baie de Saint-Brieuc. La branche venant de Saint-Maurice pourrait être pré-romaine et rejoindre Corseul [1]. La voie venant de Carhaix l'a vraisemblablement réutilisée à partir de Saint-Alban.

Cette voie supposée partir de Saint-Maurice peut venir de beaucoup plus loin. Une voie pré-romaine longeant le littoral au nord de Saint-Brieuc, traversant la Baie de Saint-Brieuc, passant par Saint-Maurice et se dirigeant vers Corseul a peut-être existé. Ce point reste à étudier.

L'embranchement de La Bouillie

Après Saint-Alban vers l'est, la voie passe par la chapelle Saint-Jacques. Plus à l'est, la voie de Corseul devait être confondue ou proche de l'actuelle D17 jusqu'à Plancoët. Au Chemin Chaussée, une branche correspondant à l'actuelle D14 se détache. Elle passe près de la Tour Montbran, élevée au XIIe siècle par les Templiers. Elle passe ensuite près de la chapelle Notre-Dame du Temple.

La voie passe ensuite par Matignon, franchit l'Arguenon près du Château du Guildo, rejoint le bord de mer au nord de Trégon et passe le Drouet. Plus à l'est, l'itinéraire est incertain. J. Gaultier du Mottay suppose que la voie franchissait le Frémur à Pont ès Omnès à l'est de Ploubalay [2, pp. 60-61] L. Bizeul pense que c'est plutôt à Pont Briand au nord-est de Ploubalay. D'après L. Bizeul, la voie franchit la Rance à Dinard. Pour J. Gaultier du Mottay, c'est plus au sud à Jouvente.

Une voie romaine ?

On n'a jamais observé de vestiges de cette voie qui passait par Matignon et le Guildo. On peut se demander si elle existait à l'époque romaine.

Les photos satellites apportent un élément de réponse. La voie semble réapparaître juste au nord-ouest du Port du Guildo. La trace est visible sur plusieurs parcelles séparées par des routes.

La voie arrivant au Port du Guildo

Une concentration de sites gallo-romains renforce également l'hypothèse d'une voie antique passant par le Guildo [3, p. 279].

On a également découvert quatre villas gallo-romaines au bord de cette voie entre le Chemin Chaussée et Ploubalay. La première est située aux Sables d'Or [3, pp. 211-213], à 6 km au nord de la voie de Ploubalay et à 8 km au nord de celle de Corseul. La seconde est située à la Saudraie [3, pp. 213-214], dans la Baie de la Fresnaye, à 4 km au nord-ouest de Matignon. La troisième est située sur la Plage des Quatre-Vaux [3, pp. 279-280], à 1500 m de la voie arrivant au Guildo. La quatrième se trouve à la Mettrie-Saudraie, à 500m au nord du bourg de Ploubalay [3, pp. 240-241].

En conclusion, sans en être certain, il est probable qu'à l'époque romaine, une voie longeait le littoral entre Saint-Alban et Alet par Matignon et le Guildo.

Le franchissement de l'Arguenon au Guildo

La manufactures des toiles de Quintin, Uzel et Loudéac a connu son âge d'or au XVIIIe siècle [4]. Les toiles appelées bretagnes sont sans doute apparues au XVe siècle. Alors que les crées du Léon ont connu leur âge d'or au XVIIe siècle, il faut attendre le XVIIIe siècle pour voir les bretagnes devenir la principale production toilière de Bretagne. C'était une véritable industrie. Le lin était cultivé dans le Trégor. Les toiles étaient ensuite fabriquées dans la région de Quintin, Uzel et Loudéac. Il fallait aussi les blanchir dans des blanchisseries appelées doués. Des grandes quantités de toiles étaient finalement exportées, surtout vers l'Espagne, par le port de Saint-Malo.

Il n'y avait qu'une seule route pour transporter les bretagnes à Saint-Malo. Elle passait par Lamballe, Matignon, Le Guildo, Ploubalay et Pleurtuit [4, chapitre VII paragraphe 74]. Il faut imaginer des charrettes lourdement chargées faisant route vers Saint-Malo. Chaque charrette était remplie de balles de toiles. Chaque toile avait une longueur d'environ 50 m pour une largeur de 50 cm à 1 m suivant les modèles. On empilait ensuite 25 toiles soigneusement pliées pour former un pilier. Dans une balle on mettait 4 piliers. Une balle contenait ainsi 100 toiles et pesait environ 40 kg.

Pour transporter de telles charges, la seule route utilisable pour aller de Quintin à Saint-Malo passait par Lamballe. De là elle rejoignait Matignon pour franchir l'Arguenon au Guildo. Elle continuait ensuite vers Dinard. Des bacs permettaient de rejoindre Saint-Malo.

Le passage du Guildo était difficile. Si les charrettes des marchands toiliers l'empruntaient, c'est sans doute qu'il n'y en avait pas d'autre. En 1751, les marchands de Quintin ont demandé une amélioration des conditions de circulation au Guildo et à Pleurtuit [4, chapitre VII, Archives communales de Quintin, BB 26]. En 1756, ils ont adressé une requête aux États de Bretagne en évoquant le sort de vingt charrettes au passage du Guildo. Les véhicules, lourdement chargés de balles de toiles, s'étaient enlisés à marée montante [4, chapitre VII, Archives communales de Quintin, BB 25]. Après la bataille de Saint-Cast en 1758, la route a été refaite entre Lamballe et Matignon en raison de son importance stratégique. En 1769, les États de Bretagne décident de dévier la route par Plancoët, le passage du Guildo étant jugé trop dangereux [4, chapitre VII, ADCA C 96]. Les toiles auraient alors été exportées par Dinan. Le projet n'a pas pu être réalisé avant la Révolution.

Au XVIIIe siècle, les points de franchissement de l'Arguenon étaient situés au Guildo, à Plancoët et à Jugon. À l'époque romaine, il pouvait en être de même. La voie Carhaix-Corseul passait par Plancoët. La voie Vannes-Corseul passait par Jugon. Quant au passage du Guildo, était-il déjà utilisé à l'époque romaine ? C'est possible parce que sans ce passage, si on veut rejoindre Alet depuis les environs de Saint-Brieuc, il faut faire un important détour par Plancoët et Corseul.

Le franchissement du Drouet

Après le passage du Guildo, la voie devait passer dans ou au bord de la Baie de Beaussais, le Vieux Bourg de Trégon étant situé à 500 m au sud. À 3 km à l'est du Guildo, le passage du Drouet devait se faire à son embouchure. Au XVIIIe siècle, ce passage était encore utilisé. En 1746, les voituriers de Quintin ont demandé le rétablissement du passage de Drouet (Archives départementales des Côtes-d'Armor, 138).

Le franchissement du Frémur

Après le franchissement du Drouet, on arrive à Ploubalay. L. Bizeul propose un passage un franchissement du Frémur à Pont Briand avant de continuer vers Dinard. J. Gaultier du Mottay propose un itinéraire par Pont ès Omnès puis un franchissement de la Rance à Jouvente. Il se base sur les vestiges archéologiques découvert à la Ville-Bague, à 1 km au sud du bourg de Ploubalay.

Un examen des photos aériennes de 1952 montre que deux voies antiques pouvaient se rejoindre près de la Ville Bague. Une voie pouvait arriver de Corseul à la Ville Bague par Plessix-Balisson. Après le passage du Drouet, la voie venant du Guildo pouvait passer par la Ville au Breton et au nord de la Motillais avant de se fondre dans la voie venant de Corseul.

La voie venant de Corseul devait être la voie principale. Partant de Corseul, elle devait suivre la D44 jusqu'à la Gare de Languenan, puis rejoindre Plessix-Balisson au nord. Elle est ensuite probable par Mahouard, Pont Arson, la Ville Bague, la Rivière, la Ruais et Pont ès Omnès où elle franchit le Frémur. Cette voie totalement inédite reste à étudier.

D'après J. Gaultier du Mottay, après le passage du Frémur, la voie continuait vers Jouvente où elle franchissait la Rance. Il est plus probable qu'après Pont ès Omnès, elle rejoignait en ligne droite Mon Repos à 3 km au nord-est. De là, elle devait rejoindre la Baie du Prieuré à Dinard où un bac permettait de rejoindre Alet.

Le franchissement de la Rance

Si la voie arrivait dans la Baie du Prieuré à Dinard, un franchissement de la Rance à gué semble impossible. Les hauteurs d'eau minimales indiquées par les cartes marines actuelles sont de l'ordre de 10 m avec un minimum de 6-7 m au voisinage de l'Île de Brizeux. Un franchissement par bac est indispensable.

À 4 km au sud d'Alet, le Passage de Jouvente pouvait également être utilisé dès l'époque romaine, de même que celui de Saint-Suliac et peut-être celui de Port Saint-Jean. Pour le passage de Jouvente, les cartes marines indiquent une hauteur d'eau de 6 à 10 m. Là aussi, un passage à gué est impossible. Au niveau de Saint-Suliac, la hauteur d'eau se réduit à environ 2 m et des passages à gué sont possibles à l'époque romaine.

D'Alet à Carhaix d'après le Roman d'Aiquin

Écrit vers le XIIIe siècle, le Romain d'Aiquin évoque une série de batailles qui ont permis de chasser les Vikings de Bretagne. Le roi Charlemagne rejoint Avranches et passe par le Mont Saint-Michel. Il franchit la Sélune et le Couesnon avant d'arriver à Dol. De là, il part faire le siège d'Alet, la place forte occupée par les Vikings. Pendant le siège, le château de Dinard est pris et les troupes du duc de Naimes sont massacrées sur l'île de Cézembre. Finalement le chef Viking Aiquin s'enfuit d'Alet et rejoint Brest par la mer avant de se retrancher à Carhaix. Une fois Alet prise, Charlemagne laisse le duc de Naimes prendre Gardaine (sans doute Saint-Suliac). Il fait ensuite route vers Carhaix où il retrouve Aiquin.

Le Roman d'Aiquin relate sans doute des batailles menées contre les Vikings par le duc Alain Barbetorte dans les années 936-940. Les noms des personnages principaux ont manifestement été modifiés. Charlemagne est né vers 742 et mort en 814, Nominoë, sans doute Naimes, est né vers 800 et mort en 851.

Après la prise d'Alet,le Roman d'Aquin décrit l'armée de Charlemagne en route pour Carhaix :

2800   Franczoys chevaulchent le[s] vasal aduré,
    Rance trespassent les barons à ung gué.
    C'est une esve qui est en ceul regné.
    Quant furent oultre, en ung pré ont monté;
    Lors s'est l[y] roys dedans le char pasmé,
2805   Pour la grant playe que il eut ou costé.
    Et Cre[stïens} grant deul en ont mené,
    Touz noz Franczoys en sont desconforté,
    N'y a ung seul n'ait tendrement plouré;
    Moult l'ont entr'elx grandement regreté:
2810   « Ha! Charles, roys, sire fort couronné!
    « Jamès en France ve[n]ra tel roys couronné
    « De ta valeur ne de si grant fierté! »
    Endementent qu'ilz ont enxin parlé,
    De pamaison s'est l[y] roys relevé;
2815   Quant voit son peuple enxin desconforté,
    Lors lour a dit: « Ne saiez esmayé,
    « Ge gariray et vendré en santé. »
    Quant l'ont ouy, grant joaye ont demené.
    Lors se eslayse nostre crestïenté.
2820   Droit à Corseut s'estoit l'ost aroté;
    Cité fut riche, ville [d']antiquité,
    Mays gastée estait, long temps avait passé;
    Et mort le sire et à sa fin alé.
    Vers Car[a]hès se sont acheminé,
2825   Tretouz ensemble le grand chemin ferré
    Que fist la famme Ohès le veil barbé,
    Qui fut moult riche et de grant poe[e]sté.
    Tant a Iuy ost expleité et alé,
    Qu'en la champaigne ont le char aresté.
    2830 Franczoys s'herbregent et tendirent lors trés.
    Quant se furent Francz tretouz bien logé,
    .X.M se sont de l'ost desevré,
    Parmy le pays ont couru et alé;
    Chétives prennent et chétifs à planté
2835   Don [lour] palays estaint soupvent peuplé.
    Moult ont paens et prins et enchartré.
    La ville asiegent environ et de lé.
    Aiquin les voit, moult en est effrayé,
    Qui cuidoit estre es Franczoys eschappé,
2840   Quant il s'en fut de Quidalet tourné;
    Par maltaIent en a Mahom juré
    Qu'[o] yeux estra en bataille champé.
    Là veïssez maint haubert bien doré.
    Isnellement sont es chevalx monté;
2845   De Char[a]hès est ys[s]u l'amiré
    Et ses paens qui sont de grant fierté.
    Vers noz Franczoys [il en] sont moult alé,
    .X.M furent les paens deffayé.
    Aiquin le roy les a.davant guyé,

La traduction a été effectuée par F. Joüon Des Longrais [5] :

Les Français passent la Rance à gué. Pendant qu'ils gravissent les collines du bord opposé, le roi de France perd connaissance dans son char et on le croit mort. Les Français pleurent et font son oraison funèbre. A ce point, il sort de sa pamoison et voyant la douleur de son peuple, il lui promet de guérir. Joie générale. V. 2800-2818.

L'ost s'arrête à Corseul, autrefois belle ville, mais alors ruinée et depuis longtemps sans seigneur. L'armée continue sa route vers Carhaix, par le grand chemin que fit la femme d'Ahès. Le char s'arrête dans la campagne et on établit le camp. Dix mille Francs vont courir le pays. Ils font un grand nombre de païens captifs et assiègent la ville de tous côtés. Effroi d'Aquin. Il jure de livrer bataille en rase campagne et sort à la tête de dix mille hommes. V. 2819-2849.

Écrit sans doute au XIIIe siècle, le Romain d'Aiquin décrit un itinéraire entre Alet et Carhaix. Pour une armée voulant franchir la Rance, il n'y avait manifestement pas de gué en face d'Alet. Il fallait descendre plus au sud, peut-être jusqu'au niveau de Taden, ou même jusqu'à Dinan. On rejoignait ensuite Corseul. De là, on devait suivre l'ancienne voie romaine qui menait à Carhaix par Plancoët, Saint-Alban et le sud de Saint-Brieuc.

Conclusion

De Saint-Brieuc à Alet à l'époque romaine, l'itinéraire principal passait sans doute par Corseul et Taden. Quant à l'itinéraire côtier par Matignon et le Guildo, il devait sans doute exister. Nettement plus court que celui par Corseul, il avait l'inconvénient de nécessiter un passage par bateau pour franchir la Rance entre Dinard et Alet. La section la plus incertaine de cet itinéraire côtier se situe entre Saint-Alban et Matignon. Un passage par Erquy ne semble pas impossible.

Les itinéraires antiques possibles de Corseul à Alet restent également à étudier, notamment l'itinéraire hypothétique inédit proposé ci-dessus par Plessix-Balisson qui est nettement plus court que celui généralement proposé par Jouvente.



Y. Autret
Mai 2023

Références

  1. L. Langouët. La voie romaine Corseul - Baie de Saint-Brieuc et son insertion dans le paysage. Centre Régional d'Archéologie d'Alet. Ce.R.A.A. n°25 1997. pp. 33-50.
  2. J. Gaultier du Mottay. Recherches sur les voies romaines du département des Côtes-du-Nord. Société d'Emulation des Côtes-du-Nord. Appendice tome V 1867.
  3. C. Bizien-Jaglin, P. Galliou et H. Kerébel. Carte archéologique de la Gaule Côtes-d'Armor. Maison des Sciences de l'Homme. Paris 2002. 408 pages.
  4. J. Martin. Toiles de Bretagne: La manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac (1670-1830). Presses universitaires de Rennes, 1998. En ligne sur https://books.openedition.org/pur/21844?lang=fr
  5. F. Joüon des Longrais. Le roman d'Aqvin ou La conqveste de la Bretaigne par le roy Charlemaigne. Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne. 1880. En ligne sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81586s