Vers 1820, D. Miorcec de Kerdanet avait découvert à 6km au sud-est de Lesneven, un établissement gallo-romain dont l'importance paraissait considérable [1]. Il s'agit de la ville gallo-romaine de Vorganium.
Elle était limitée à l'est par l'actuel village de Kerilien, et à l'ouest par Kergroas. Son nom est connu grâce à la borne milliaire qui a été retrouvée à Kerscao en Kernilis. Les fouilles du site archéologique ont été effectuées dans les années 1960 dans des conditions très difficiles. Suite à des destructions de toutes sortes, le site du théâtre gallo-romain a été acheté par l'Etat et placé en réserve archéologique. C'est aujourd'hui le seul vestige visible de l'ancienne ville gallo-romaine. La cavea et la scène sont bien visibles.
Une exploration scientifique du site, entre 1956 et 1968, a permis de montrer l'existence de ruines romaines sur plus de 30 ha. Dans la parcelle A318, dans un ensemble de bâtiments séparés par une cour et une rue, des es fours ont été datés du Ier au IIIe siècle. Ils étaient destinés à un usage artisanal (métaux, céramique). Dans la parcelee A277, près de l'ensemble précédent, un autre édifice a été daté du Ier et du IIe siècle. Il comportait une série de salles à usage artisanal (travail du verre, de la céramique, du bronze, du fer). En A323, un troisième chantier situé plus à l'ouest, a révélé un édifice différent, sans doute la maison d'un exploitant agricole. Elle mesurait 17,60m sur 12m. Une entrée au sud donnait accès à une petite cour bordée sur trois côtés d'une galerie rudimentaire qui donnait accès à des salles situées au nord et à l'ouest.
A mi-chemin entre l'Elorn et la mer, l'agglomération de Vorganium tenait vraisemblablement dans cette région une place importante au niveau économique et peut-être politique. C'était la seule à être pourvue d'un théatre chez les Osismes. Suite aux invasions du IIIe siècle, elle a été abandonnée. Une réoccupation du site est possible au IVe siècle avant un abandon total au Ve siècle.
A la fin des années 1820, D. Miorcec de Kerdanet avait remarqué qu'une voie romaine traversait le plateau de Kerilien du sud-est vers le nord-ouest [1]. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, Kerilien était reconnu comme le point de convergence d'une série d'itinéraires gallo-romains, notamment en provenance de la Pointe Saint-Mathieu et de Morlaix. Le plus important de ces itinéraires était celui repéré Miorcec de Kerdanet. Il reliait Carhaix à l'Aber-Wrac'h en passant par Kerilien.
Le tracé exact de la voie romaine de Carhaix à l'Aber-Wrac'h est resté longtemps incertain. M. Bizeul en avait présumé l'existence [2]. En 1847, M. de Blois affirme avoir trouvé des traces de chaussée à La Feuillée, et Pol de Courcy affirme avoir parcouru la section comprise entre Landivisiau et Plouguerneau (Assocation Bretonne, B.A.A.B. tome IV, 1847, p.91). Vers 1870, E. Flagelle a collecté des informations [3] qui sont utilisées par R. Kerviler pour proposer des branches de la voie principales [4], notamment vers Landerneau. Au même moment, R.F. Le Men propose un tracé par l'ouest d'Huelgoat, La Feuillée, le Roc-Trédudon, le sud-ouest de Plounéour-Ménez, le sud de Guimiliau, le nord de Lampaul-Guimiliau, le sud de Landivisiau, puis Kerilien .
Au début du XXe siècle, P. Du Chatelier a mis en évidence une seconde possibilité. Entre Carhaix et Plounéour-Ménez, l'itinéraire pouvait passer plus à l'est par Berrien [5]. Entre Carhaix et Berrien, les itinéraires Carhaix-Aber-Wrac'h et Carhaix-Morlaix se confondaient. Le tracé proposé par Du Chatelier est celui qui est aujourd'hui considéré comme le plus ancien [6, p. 47]. C'est celui que nous allons suivre. C'est le tracé le plus probable pour la voie romaine de Carhaix à l'Aber-Wrac'h.
La voie quitte Carhaix par le pont du Petit Carhaix qui franchit l'Hyères. Elle passe à l'est du bourg de Kernévézel, franchit le Dourcam près de Kermarzin, entre sur la commune de Poullaouen, et passe près de la motte féodale de Rosquijeau. Elle laisse le bourg de Poullaouen à 500m à l'ouest. A cet endroit, la voie passe à 100m à l'est de l'oppidum de Justiçou. Ce dernier occupe une superficie de près d'un hectare et date vraisemblablement de l'Age du Fer. La voie traverse ensuite le site de La Mine. Les exploitations minières de Poullaouen ont pris leur essor après la création de la Compagnie des Mines de Basse-Bretagne en 1732. Les mines de plomb-argentifère de Poullaouen ont été exploitées intensivement jusqu'en 1866. Elles étaient peut-être exploitées à l'époque romaine mais on n'a pas de certitude.
La voie entre sur la commune de Locmaria-Berrien à Pont-ar-Gorret. Le pont médiéval sur l'Aulne comprend 3 arches protégées par des éperons (avant-becs). On passe ensuite près de la chapelle Saint-Ambroise qui a été reconstruite au XVIIe siècle. La voie traverse ensuite la Forêt d'Huelgoat où elle est conservée sous la forme d'un chemin. Elle laisse à 2km à l'ouest l'oppidum de Huelgoat connu sous le nom de Camp d'Arthus.
Après la forêt, on arrive sur la commune de Berrien. Près du village de Squiriou, la voie se divise, une branche part vers Morlaix, et l'autre vers Berrien. D'après les cartes IGN, c'est la branche de Morlaix qui est la branche principale. Le cadastre de Berrien de 1836 indique que c'était plutôt à 100m au nord du village de Treusquilly que se faisait la séparation des voies. La voie ancienne de Morlaix devait passer dans les carrières de Kaolin ouvertes en 1967. Il apparait alors que si la voie de Morlaix est la plus ancienne, un passage par Treusquilly fait faire un détour injustifié. On arrive à la conclusion que la voie de Morlaix semble plus récente que celle qui mène à Berrien.
Après le bourg de Berrien, la voie correspond à une route actuelle, la D42. A 1km au nord-est de Quinouacl'h, la voie se sépare de l'actuelle D42 pour continuer vers le nord-ouest. au lieu-dit Pulviny où se trouve une stèle de l'Age du Fer christianisée. A 1500m à l'est de Trédudon-le-Moine, la voie quitte la route actuelle pour suivre un chemin de terre. Elle laisse à 1km à l'est le village médiéval de Goënidou où un trésor monétaire gallo-romain a été découvert [7]. Elle franchit ensuite la crête des Monts d'Arrée à 3km à l'est du Roc-Trédudon.
En entrant sur la commune de Plounéour-Ménez, la voie suit pendant 1km un chemin emprunté par le GR380. Elle disparaît au franchissement d'un ruisseau, puis réapparaît 200m après pour rejoindre le bourg de Plounéour-Ménez par Guirhoël. Elle laisse l'église à 50m au nord, puis reste très proche de l'actuelle D111.
500m avant la limite de Loc-Eguiner-Saint-Thégonnec, un embranchement hypothétique reste à étudier. Il pourrait s'agir d'un ancien chemin, pas nécessairement antique, se dirigeant vers Bodilis. Ce point reste à étudier.
Au bourg de Loc-Eguiner-Saint-Thégonnec, la voie passe près d'une motte féodale. Il est possible qu'elle franchissait la Penzé au lieu-dit Pont-Meur. Cependant, un passage est également possible à 200m plus au nord par le Moulin de Penhoat-Huon.
Sur la commune de Guimiliau, à la Croix de la Garenne, une branche se détache vers Roscoff. L'embranchement ne peut pas être daté à ce jour. L'angle entre les deux branches semble trop faible pour que les deux voies soient antiques.
La voie franchit le Quillivaron près de Créac'h ar Bleïz (la montagne du loup), à 1km au sud du bourg de Guimiliau. Juste après le ruisseau, une branche d'apparence antique se détache vers l'ouest pour rejoindre Landerneau [6, pp. 86-91]. Cet embranchement pourrait correspondre à la véritable voie romaine de Carhaix à Landerneau.
En direction de l'Aber-Wrac'h, la voie principale passe à 500m au nord du bourg de Lampaul-Guimiliau. Après Coat an Escop, elle franchit un ruisseau puis l'Elorn 200m à Pont-Croaz. Elle ne rejoint pas le centre de Landivisiau, mais reste à 1km au sud. Elle entre sur la commune de Bodilis à la Croix des Maltotiers où elle est pratiquement confondue avec l'actuelle D32. Apprès Mouster-Paul, elle se se confond avec la D32a.
Sur la commune de Saint-Servais, la voie traversait la base aéronavale. A cet endroit elle est appelée "Vieux grand chemin de Lesneven à Landivisiau" dans le cadastre de Saint-Servais de 1828.
Sur la commune de Saint-Derrien, la voie rejoint à nouveau la D32. Entre Bellevue et Penn ar Groaz, un embranchement se détache vers le sud en direction de Pont-Christ au bord de l'Elorn sur la commune de La Roche-Maurice. Cet embranchement continue vers le le Valy-Cloître, puis le bourg de la Martyre, franchit un ruisseau au niveau de Roudouguenvez, passe, entre Sizun et le Tréhou, et se raccorde avec une voie en provenance de Landerneau . Au delà, cette voie semble continuer vers Quimper par Lopérec, Lothey et Briec.
En direction de Kerilien, la voie reste pratiquement confondue avec la D32. Depuis le centre de la ville gallo-romaine de Vorgium (extrémité sud de la Rue Brizeux à Carhaix), jusqu'à la ville gallo-romaine de Vorganium (Kerilien en Plounéventer), la voie a parcouru 63,7 km pour une ligne droite de 57,9 km.
Il est probable que depuis Kerilien la voie antique rejoignait Saint-Méen en suivant l'actuelle D32.
A Croaz-Kerduff, à 1500 à l'est du Folgoët, un embranchement semble se détacher vers l'ouest et suivre l'actuelle D28 [6, p. 110]. Cet embranchement pourrait être antique et continuer vers Plouguin. De plus, il n'est pas certain qu'il s'agisse d'un embranchement. A Croaz-Kerduff, on est peut-être au croisement de la voie romaine Carhaix-Aber-Wrac'h et d'une voie pré-romaine reliant Plouguin à Roscoff ou Morlaix. Ce point reste à revoir.
Au bord de la D32, près du village de Kerscao en Kernilis, on a découvert vers 1830 un milliaire épigraphe. La borne se trouve actuellement au Musée départemental breton, à Quimper. L'inscription est la suivante:
TI (BERIUS) CLAVDIVS
DRVSI FILIVS
CAESAR A VGVS(TVS)
GERMANICVS
PONTIFEX MAXIMVS
TRIBVNICIA POT(ESTATE) V
IMP(ERATOR) XI P(ATER) P(ATRIAE) CO(N)S(VL) III
DESIGNATVS IIII
VORGAN(IVM) M(ILIA) P(ASSVVM) VI (VII ou VIII voire même VIIII)
Elle peut se traduire ainsi: "Tibère Claude, fils de Drusus, César Auguste, Germanicus (c'est-à-dire salué pour ses victoires sur les Germains), grand pontife, revêtu de la cinquième puissance tribunicienne, salué Imperator onze fois, père de la patrie, consul pour la troisième fois, désigné pour la quatrième fois. De Vorganium, six (sept ou huit) milliers de pas" [6, p. 217].
Lecture du milliaire de Kerscao par E. Desjardin en 1874
Le milliaire de Kerscao pourrait marquer la fin des travaux, et la voie de Carhaix à l'Aber-Wrac'h aurait été terminée entre 45 et 46 de notre ère. A Kerscao nous sommes à 11,6km du terminus de la voie à Saint-Cava en Plouguerneau, et à 14,7km de Kerilien (la mesure étant faite depuis un point situé à environ 200m à l'ouest de Kerilien [6, p. 229]). En se basant sur un mille romain de 1,48 km, le milliaire de Kerscao indique une distance de 11,8 km.
Si le milliaire est gravé du chiffre 8, on peut penser qu'il indique la distance de Kerscao au terminus de la voie à Saint-Cava. Cependant, cette hypothèse n'est pas celle qui est admise à ce jour. On a supposé que Vorganium ne pouvait correspondre qu'à Kerilien et qu'en conséquence des chiffres avaient disparu sur le milliaire [8, p. 89]. En ajoutant un "I" on arrive à une distance de 9 milles (VIIII) entre Kerscao et Kerilien, soit 13,25 km. On note qu'à la la suite de cette manipulation, l'erreur est encore de 1000 pas. De plus, la lecture effectuée par E. Desjardin en 1874 indique sans ambiguïté que c'est une distance de 8 milles romains (Passus) qui est gravée sur le milliaire.
L'assimilation de Vorganium à Kerilien est-elle fausse ? D'après le milliaire de Kerscao, Vorganium était un établissement gallo-romain situé au terminus de la voie à Saint-Cava en Plouguerneau.
A l'ouest de Kerscao, la voie se divise en plusieurs branches. La plus importante semble être celle qui passe au Grouanec, à 100m au sud de l'église de Plouguerneau, à Kerferé (le village du chemin ferré?) [6, p. 69]. La voie passe ensuite au village de Pennkéar, à 300m de la mer et de la presqu'île de Saint-Cava.
Depuis Carhaix, la longueur de la voie est de 90,2 km. En ligne droite, la distance est de 82,1 km.
Y. Autret
Janvier 2016 - Août 2019