Dernière mise à jour février 2016.
La route royale n°170 de Quimper à Landerneau est souvent prise pour une voie antique en raison de ses nombreuses sections parfaitement rectilignes. En fait, bien que globalement droites, les voies antiques sont rarement rectilignes parce qu'elles tiennent compte de la topographie. Ainsi, certaines sections rectilignes de la route royale n'ont peut-être rien d'antique. Pour tenter de le découvrir, on va suivre la route royale entre Quimper et Landerneau.
Cette section pourrait être confondue ou très proche d'une voie antique [1]. Elle est appelée localement "Voie romaine".
A l'extrême nord-est de la commune de Cast, la route royale passe à l'est du Ménez-Quelc'h alors qu'un chemin d'apparence plus ancienne passe à l'ouest et rejoint la route royale à 300m au nord-ouest du Loc'h, à 2km au sud de Châteaulin. Ce lieu est appelée "Manoir du Loc'h" dans le cadastre de 1810 de Cast. La chapelle Saint-Mahouarn, appelée également Saint-Magloire, et dépendant de la fabrique de Cast, s'élevait à proximité
Dans le premier cadastre de 1810, le manoir du Loc'h n'est pas relié à la route royale, mais à un chemin qui arrive par l'est du Ménez-Quelc'h et continue vers Châteaulin (section D1). Dans le second cadastre de 1849, on voit qu'un chemin a été construit pour relier le Loc'h à la route royale.
Ceci nous permet de supposer qu'avant la création de la route royale, pour aller de Quimper à Châteaulin on empruntait un chemin passant à l'est du Ménez-Quelc'h. A 2km au sud-est du Ménez-Quelc'h, on passe par Marchaussy qui pourrait signifier écurie (marchosi en breton moderne). La tradition y situe un relais de diligences, et y fait également passer un chemin, bordé de deux talus, et construit par la duchesse Anne [2, p. 55]. Il s'agit sans doute d'un chemin médiéval.
Quant à la voie antique, venant de Quimper et arrivant au niveau du Menez-Quelc'h, elle devait ne plus être confondue avec la route royale. Bifurquant légèrement vers le nord-ouest elle devait prendre la direction du Menez-Hom et/ou du Faou par le Vieux Passage de Logonna-Quimerc'h [1].
Sur la commune de Saint-Coulitz, la route royale est appelée "Vieille route royale de Brest à Nantes" dans le cadastre de 1847. Au XIXe siècle, le tracé a été modifié pour passer à 500m à l'est. La nouvelle route porte le nom de "Route royale n°170 de Brest à Nantes" dans le cadastre.
La vieille route royale commence par longer un affluent de l'Aulne en le laissant à quelques mètres à l'ouest. Elle le franchit à Banine où elle entre sur la commune de Châteaulin. Ensuite elle arrive au Vieux-Bourg en Châteaulin, et passe dans une étroite bande de terre de 100m de large, limitée par l'Aulne et la falaise sur laquelle s'élevait le château médiéval. Elle franchit l'Aulne sur un pont construit peut-être au XIIIe siècle près de l'ancien gué de Rodo-Los-Strat (le gué de la chaussée) [3].
Après Châteaulin, en poursuivant vers Pont-de-Buis et Le Faou, le Dr Picquenard n'émet aucun doute sur l'antiquité de la route royale [4]:
D'après le Dr Halléguen (L'Armorique bretonne, I, p. 119) qui, cette fois, a très bien discerné son trajet réel, la grande voie, après le château de Châteaulin, traversait l'Aulne à gué et « sur un pont dont les fondations paraissent romaines ». Ensuite, en allant vers le nord, son repérage et son jalonnement se font facilement. En sortant de Châteaulin, par la route nationale, voici Kerstrat ; puis, en Saint-Ségal, Le Drénit, où il y a des vestiges gallo-romains. De la station du Pont-de-Buis jusqu'au bourg de Quimerc'h, nous abandonnons la route nationale et nous suivons, pendant 3 kilomètres, la voie romaine qui descend d'abord d'une façon vertigineuse au fond du vallon du Pont-de-Buis pour remonter à peu près de la même façon sur la pente opposée...
La voie aborde le bourg de Quimerc'h un peu à l'est du village du Cosker ; elle arrive sur le haut plateau de la montagne d'Arrée en laissant à l'est le camp romain du Murriou dont les hauts remparts dominent tous les landiers voisins. De là, elle atteint Le Faou...
En y regardant de plus près, la situation est plus incertaine. La route royale franchit l'Aulne à Rodo-Los-Strat, là où se trouvait le pont médiéval détruit par une crue en 1821, et là où passe l'actuelle D887. Elle continue par l'actuelle rue de Ty Carré jusqu'à "la maison neuve" (cadastre de 1847, section C2), puis continue dans l'actuelle Allée Verte qui conduit à la limite de Port-Launay (Ancienne route royale n°170 dans le cadastre de 1847).
Si la voie antique passait à Châteaulin, le gué de Rodaven (roudou-aven, le gué de la rivière), à 1km en amont de Rodo-Los-Strat, est également possible. En effet, entre Rodo-Los-Strat et Ty-Ru, l'actuelle rue Ty-Carré, qui existe dans le cadastre de 1847, semble être postérieure à un chemin passant plus au sud. Ce dernier reliait Rodaven à Ty-Ru (la parcelle C2-460 semble avoir absorbé un résidu de parcelle résultant de la création d'une nouvelle route). De plus, les parcelles C3-465 et C3-466 semblent également contredire l'existence d'une voie antique correspondant à la rue de Ty-Carré.
De plus, les auteurs d'études sur la voie romaine de Carhaix à Camaret considèrent que cette dernière correspond à la rue Ty-Carré en arrivant à Châteaulin. Au nord-est de Ty-Carré, la rue de Ty-Carré longe sur 2km, et à un distance de 300m, l'Allée Verte. Ces chemins parallèles ne peuvent pas être tous les deux antiques. Aussi, il parait improbable que deux voies antiques parallèles aient convergé à Ty-Ru pour franchir l'Aulne à Châteaulin.
En poursuivant vers le nord on arrive à Lezabannec, à la limite de Port-Launay. A cet endroit, la route royale suit une direction nord-est, puis fait un virage à 90° vers le nord-ouest. La route royale semble se fondre dans un ancien chemin, peut-être antique, pouvant provenir directement de Quimper [5].
En poursuivant vers le nord, sur la commune de Port-Launay, la route royale suit l'actuelle D770. Le cadastre de Port-Launay de 1847 montre que la route royale est très proche d'une voie plus ancienne (parcelle 4-312). L'hypothèse est confirmée dans le cadastre de Saint-Ségal de 1810 (parcelles D2-521 D2-466,, D2-464, et D2-235 à la limite de Pont-de-Buis).
Au bourg de Pont-de-Buis, la route royale se détachait de l'actuelle Rue de Quimper pour suivre la Rue Michel, la Rue de Logodec, et la Grand Rue. Sur les deux kilomètres avant le franchissement de la Douffine au "pont de buis", on compte 5 virages prononcés dont deux à 90 degrés, et un à 120.
Près du passage de la Douffine, la route royale se semble pas avoir une origine antique. La chapelle Sainte-Barbe s'élevait près du passage. Elle est tombée en ruines en 1815. La paroisse de Pont-de-Buis a été créée en 1909 au détriment de Saint-Ségal. Le cadastre de Saint-Ségal de 1810 indique près du pont de la Douffine le Manoir neuf, le moulin du pont de buis, et quelques maisons à proximité, soit au total 9 bâtiments numérotés. Dans le cadastre de 1844 de Pont-de-Buis on compte 23 bâtiments numérotés au voisinage du pont côté sud. Au nord de la Douffine, à l'exception de la poudrerie située près de la rivère, le cadastre de Quimerc'h de 1844 n'indique pas de maisons au bord de la route royale. Si la route royale avait réutilisé une voie antique franchissant la Douffine à Pont-de-Buis, l'urbanisation aurait du être plus importante, d'autant plus que la mer arrive à Pont-de-Buis.
Après le "pont de buis", la route royale remontait la Rue du Squiriou, passait au bourg de Quimerc'h, longeait, en la laissant à moins de 500m au nord, l'actuelle D770 appelée "No(u)velle grande route du Faou à Châteaulin" dans le cadastre de Quimerc'h de 1843.
Elle suivait brièvement l'actuelle D47 avant de s'en détacher pour prendre la direction du Faou. L'actuelle D47 peut être considérée comme une voie antique possible, notamment parce qu'elle passe près du Camp du Muriou où ont été découverts plusieurs fragments d'amphores gréco-italiques du IIe siècle av. J.-C. Cette voie antique possible semble provenir des environs du Mont-Saint-Michel-de-Brasparts et rejoindre la Presqu'île de Crozon.
Quant à la route royale, où elle passait près de la Motte où se trouvait le château féodal des vicomtes du Faou.
Au nord du Faou, une voie antique pourrait correspondre à la route royale sur 1500m. La voie antique pouvait rejoindre Landerneau par Daoulas alors que la route suivait un chemin plus direct [1].
Plus au nord, la route royale continue par Keromen et croise un chemin venant du manoir de Kerliver. A 3km au nord-ouest du Faou, la route qui reliait le manoir de Kerviler au Faou est plus ancienne que la route royale. Elle croise puis rejoint la route royale. Le cadastre de Hanvec de 1825 indique un chemin au nord de la parcelle H1-76. Ce chemin traverse la route royale et continue au nord de la parcelle G1-150 avant de venir s'embrancher sur la route royale. Une origine antique de la route royale est improbable à cet endroit.
La route royale traverse le Bois du Gars en faisant deux virages à 90° avant le franchissement de la vallée du Camfrout.
Le cadastre de 1826 montre que la route royale a été tracée à travers le parcellaire. La coupure est particulièrement nette entre les parcelles D2-759 et E1-32 qui étaient vraisemblablement réunies à l'origine. Sur toute la commune d'Irvillac, on observe au sud du bourg, un chemin très proche et globalement parallèle à la route royale. Bien qu'étant distant de seulement quelques dizaines de mètres de la route royale, ce chemin fait sans raison apparente plusieurs virages à 120°, ce qui fait douter de son antiquité.
A 1500m au sud du bourg de Saint-Urbain, près de la limite d'Irvillac, le cadastre du XIXe siècle de Saint-Urbain montre qu'il existe à proximité immédiate de la route royale, un chemin parallèle à l'est (sections A3 et B1). Ce chemin ne semble pas avoir d'autre fonction que de celle de relier le manoir de Kerdaoulas au bourg de Saint-Urbain, et la proximité de la route royale semble être une coïncidence. Il date vraisemblablement de l'époque du manoir de Kerdaoulas, c'est à dire du XVe ou du XVIe siècle et indique qu'il n'y avait pas de voie antique à proximité.
On vient de suivre la route royale n°170 entre Quimper et Landerneau et trois grandes sections ont été mises en évidence. La section de Quimper à Châteaulin semble réutiliser sur 19km une voie antique partant de Quimper vers le nord et se dirigeant vers le Menez-Hom. Elle s'en détache 5km avant Châteaulin. La section Châteaulin au Faou fait 18km. Sur la commune de Saint-Ségal elle pourrait réutiliser une voie antique sur 4km.
Quant à la section du Faou à Landerneau par Irvillac et Saint-Urbain, elle fait 19km et semble avoir été entièrement créée au XVIIIe siècle. On comprend mal la raison de cette création parce qu'un itinéraire passant par Daoulas n'occasionne qu'un supplément de 2km. Ce fut d'ailleurs un échec. Dès le XIXe siècle la route royale a été abandonnée. Elle laissait à l'écart des centres économiques importants, notamment des estuaires et les carrières de Kersanton de l'Hôpital-Camfrout. La nouvelle route, ancienne route nationale 170 et actuelle D770, passe par Daoulas pour relier le Faou à Landerneau. Ainsi, une voie antique a sans doute été abandonnée au XVIIIe siècle pour être reprise au siècle suivant.
Entre Quimper et Landerneau, sur un total de près de 62km, la route royale a vraisemblablement nécessité la création de 37km de nouvelle route.
Y. Autret
Février 2016